Contexte

Toutes les grandes civilisations asiatiques sont présentes dans la Mer de Chine méridionale à la fin du 10e siècle : l’histoire du naufrage de Cirebon s’inscrit dans un véritable bouillonnement politique, économique et culturel, dans un monde ouvert et dynamique.

La Chine – d’où une part essentielle de la cargaison céramique est originaire - vit une période de profonde division depuis la chute de la dynastie Tang en 907. « Cinq Dynasties » se succèdent brièvement à Kaïfeng (Henan) entre 907 et 960. Dans le sud du pays, les « Dix Royaumes » qui se partagent le pouvoir correspondent grosso modo à des régions naturelles et aux limites des actuelles provinces. Les Song établissent leur capitale à Kaïfeng (Henan) en 960 et luttent durant deux décennies pour prendre le contrôle des petits royaumes méridionaux. En 971, leurs armées entrent à Guangzhou (Canton), mettant ainsi fin au royaume des Han du Sud établi dès 905. En 978, le royaume de Wuyue (Zhejiang), où se trouvaient les principaux fours des grès verts, est annexé lui aussi. Dans le nord du pays, la situation évolue tout autrement : en 907, une dynastie d’origine Qidan est fondée à Rehe (Liaoning). Elle conquiert Pékin (Hebei) en 947 et règne dans le nord de la Chine sous le nom de Liao. Lorsque les Jürchen balayent les Liao en 1125 et entament leur règne sous le nom de Jin, ils privent aussi les Song de leur capitale Kaïfeng et les obligent à fuir vers le sud où ils installent une nouvelle capitale à Hangzhou (Zhejiang) en 1127. Dans ce siècle troublé, l’influence politique chinoise sur les confins de l’empire chute irrémédiablement. La partie septentrionale du Vietnam, sous domination chinoise depuis le début de notre ère, se rend indépendante en 938. Grâce à son élite profondément sinisée, un Etat prend réellement forme sous le règne des Ly (1009 – 1225) qui s’installent à Hanoi en 1010.

Dans la moitié sud du Vietnam actuel, ainsi que dans le sud-est asiatique continental et insulaire, l’influence culturelle indienne est nettement prédominante, en raison d’échanges commerciaux anciens remontant au début de l’ère chrétienne. S’y côtoient, s’y affrontent et s’y succèdent des états agraires basés sur la riziculture inondée et des états côtiers aux faibles ressources agricoles, entièrement tournés vers les échanges du commerce international, voire, de la piraterie. Le 10e siècle correspond à l’apogée du Champa, logé dans l’étroite bande côtière qui serpente le long de la côte vietnamienne et constitué de plusieurs régions tour à tour prédominantes, dont l’épigraphie a conservé les noms sanscrits. La recherche archéologique de ces dernières décennies a permis de rendre justice à la qualité de ses monuments religieux bouddhiques et shivaïtes édifiés en briques. Le Champa connaît des relations conflictuelles avec le royaume Khmer, installé dans la région d’Angkor depuis 802, dont les souverains contrôlent les ressources aquatiques garantissant le succès de la riziculture et se montrent grands bâtisseurs de temples hindouistes et bouddhiques.

Au 10e siècle, le monde malais est en pleine expansion, sa position géographique lui conférant naturellement un rôle majeur dans le commerce maritime. La péninsule malaise, la région qui forme aujourd’hui la Thaïlande centrale et péninsulaire, subissent l’influence du Srivijaya, un état qui n’a laissé que peu de traces archéologiques mais dont la puissance économique et la richesse sont alors reconnues jusqu’en Chine. Sa capitale, cité-Etat, s’installe à Palembang dans le sud de Sumatra.

Dès le 7e siècle, Palembang apparaît comme un centre important d’études bouddhiques. En 671, le pèlerin chinois Yijing (635 – 713) y fait escale pour étudier le sanscrit avant de reprendre la mer pour rejoindre l’université bouddhique de Nalanda (Bengale). C’est encore à Palembang qu’il s’installe à son retour de l’Inde, pour entreprendre son travail de traduction des textes sacrés.

Au 8e siècle, l’hindouisme a encore la faveur des cours de Java centrale, dont celle des Sanjaya. Candi Borobodur, l’un des plus fameux lieux de culte et de pèlerinage du bouddhisme, fut d’abord conçu comme un temple-montagne shivaïte avant que la nouvelle dynastie des Sailendra, de tendance bouddhiste, le transforme, au cours de plusieurs décennies de travaux gigantesques, en un véritable mandala (diagramme de méditation). L’influence du Vajrayana (Véhicule du Diamant), forme ultime du bouddhisme bien développée dans le nord de l’Inde au 7e siècle, se fait plus nettement sentir dans l’architecture et la décoration du monument à partir du 2e quart du 9e siècle. C’est aussi l’époque à laquelle les textes et objets rituels du Vajrayana se multiplient en Indonésie, Le succès de cette forme de bouddhisme ésotérique et fortement ritualisé s’explique probablement par son caractère élitiste, correspondant bien à la hiérarchisation de la société imposée par les cours indianisées. Le culte des Jina (Victorieux) ou Dhyanibuddha (Buddha de méditation) est introduit et la doctrine du Triple Corps (Trikaya) des Buddha s’exprime en de complexes mandala.

En 1011, le grand moine indien Atisha (982 – 1054) se rend au Srivijaya avec ses disciples avant de repartir pour l’Inde puis pour le Tibet. Jusqu’au 13e siècle environ, l’influence du Vajrayana se fait sentir dans la région : parmi les nombreux vestiges de monuments bouddhiques émaillant le site de Padang Lawas (Sumatra) figure une représentation de Heruka, divinité farouche du Vajrayâna, dansant sur un cadavre.

Sur le plan politique, la situation change dès la fin du 10e siècle et le centre du pouvoir javanais se déplace vers l’est de l’île. En 990, Palembang subit les attaques des armées de Dharmavamsa, un roi de l’est de Java et n’est repris qu’en 993 mais le déclin de Srivijaya se confirme au 11e siècle.